8 avril 2024

Annonciation du Seigneur

 

Messe à l’abbaye à 9h

Vierge du bois

 

Extraits de la quatrième homélie sur le « Missus Est » de St Bernard

Louanges de la Vierge Mère

  1. Tu as appris, Marie, et l’événement et la manière dont il doit s’accomplir, l’un et l’autre merveilleux. Réjouis-toi, fille de Sion, tressaille de joie, fille de Jérusalem (Za 9,9). Puisque tu as entendu cette parole de joie, nous souhaitons entendre de ta bouche l’heureuse réponse qu’appellent nos désirs, afin que tremblent d’allégresse nos os humiliés (Ps 50,10). Tu as appris l’événement et tu y as cru ; ajoute foi également à la façon dont il s’accomplira. On t’a dit que tu concevrais un fils, non de l’homme mais du Saint-Esprit. L’ange attend ta réponse : il va être temps qu’il retourne auprès de Dieu qui l’a envoyé. Nous aussi, ô Souveraine, nous malheureux sur qui pèse la sentence de damnation, nous attendons une parole de compassion. Voici qu’on t’offre le prix de notre salut : si tu l’acceptes, nous serons aussitôt délivrés. Nous avons tous été créés par le Verbe éternel de Dieu, mais voici que nous mourrons ; de ta brève réponse dépend que nous soyons rappelés à la vie. Telle est la supplique que t’adresse, Vierge miséricordieuse, le pitoyable Adam exilé du paradis avec sa malheureuse descendance. C’est la supplique d’Abraham, de David, de tous les Patriarches, tes propres ancêtres, qui eux aussi habitent la contrée ensevelie dans l’ombre de la mort. Le monde entier, prosterné à tes genoux, se joint à cette prière. Car c’est à tes lèvres qu’est suspendue la consolation des misérables, le rachat des captifs, la délivrance des condamnés, en un mot le salut de tous les fils d’Adam, de toute ta race. Hâte-toi de donner ta réponse.

O Souveraine, prononce cette parole qu’attendent la terre et les enfers et les cieux. Le Roi lui-même, le Seigneur, qui a si fort convoité ta beauté, désire avec la même ardeur ton consentement, dont il a voulu faire la condition du salut universel. Tu lui as plu par ton silence, mais maintenant tu lui plairas davantage par ta parole, et il te crie du haut du ciel : « O toi qui es belle entre les femmes, fais-moi entendre ta voix. » Si tu lui fais entendre ta voix, il te fera voir notre salut. N’est-ce pas là ce que tu cherchais en gémissant, en soupirant, en priant jour et nuit ? Eh quoi ? es-tu celle à qui fut adressée la promesse de notre salut, ou bien devons-nous en attendre une autre ? Non, n’est-ce pas, c’est bien toi, tu es cette femme promise, attendue, désirée, de qui ton saint ancêtre Jacob, aux approches de la mort, espérait la vie éternelle, lorsqu’il disait : J’attendrai ton salut, Seigneur (Gen 49,18). C’est bien en toi et par toi que Dieu, notre roi, a résolu dès l’origine d’opérer le salut sur la terre. Pourquoi espérerais-tu d’une autre femme ce qui t’est offert ? Pourquoi attendre que se fasse par une autre ce qui ne tardera pas à s’accomplir par toi, pourvu que tu donnes ton consentement et que tu répondes d’un seul mot ? Réponds bien vite à l’ange, ou plutôt, par l’ange, au Seigneur. Prononce une parole et tu recevras la Parole. Profère ta parole et tu concevras la Parole divine. Émets une parole éphémère et tu possèderas la Parole éternelle. Pourquoi tarder ? pourquoi trembler ? Crois, confie-toi, et accueille. Humble, sache être audacieuse ; réservée, n’aie pas peur. Il n’est pas question que ta simplicité virginale renonce maintenant à son habituelle prudence, mais voici bien la seule occasion où tu ne doives pas craindre de te montrer présomptueuse. La pudeur t’inspirait un louable silence, mais maintenant la ferveur doit t’inciter à parler. Vierge bienheureuse, ouvre ton cœur à la foi, tes lèvres au consentement, ton sein au Créateur. Le désiré de toutes nations est là qui frappe à ta porte. Oh ! s’il allait passer son chemin tandis que tu tardes, et s’il te fallait recommencer à chercher avec angoisse celui que ton cœur aime ! Lève-toi, cours, ouvre ! Lève-toi par la foi, cours par la dévotion, ouvre par le consentement.

  1. Voici, dit-elle, la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. L’humilité est la compagne habituelle de la grâce divine, car Dieu résiste aux orgueilleux mais accorde sa faveur aux humbles. Marie répond donc humblement, pour préparer la demeure de la grâce. Voici la servante du Seigneur. Elle est choisie pour mère de Dieu, et elle se nomme sa servante. C’est la marque d’une bien grande humilité que de ne pas céder à une telle gloire. Il n’est pas difficile d’être humble dans l’abjection, mais c’est une rare vertu que l’humilité parmi les honneurs. Pauvre homme de rien que je suis, s’il arrive que l’Église, trompée par les airs que je me donne, m’élève à la plus modeste des dignités – et si Dieu le permet, ce ne peut être que pour mes péchés ou pour ceux de mes inférieurs – ne vais-je pas aussitôt oublier ce que je suis en réalité et me croire tel que m’imaginent les autres hommes (qui ne vivent pas dans mon cœur) ? Je ferai crédit à ma propre réputation, sans prendre garde aux démentis de ma conscience. Au lieu de mesurer l’honneur à mes vertus, je mesurerai mes vertus aux honneurs qu’on me rend, et je me croirai d’autant plus saint que j’occuperai un rang plus élevé. Vous pouvez voir dans l’Église bien des gens qui, ennoblis et parvenus à la richesse, se gonflent d’orgueil, oubliant la bassesse de leur ancienne condition, rougissant de leur naissance et méprisant leurs parents demeurés pauvres. Vous pouvez voir des hommes cupides voler aux dignités ecclésiastiques et se targuer d’être parvenus à la sainteté pour avoir simplement changé d’habit, et non d’esprit. Ils se croient dignes des honneurs qu’ils n’ont obtenus que par la brigue ; pis encore – oserai-je le dire ? – ils attribuent à leurs mérites ce qu’ils ont acquis à prix d’or. Et je ne dis rien de ceux qu’aveugle l’ambition et pour qui toute charge n’est qu’une occasion de s’enorgueillir. …
  2. Tous, tant que nous sommes, écoutons donc la réponse de celle qui fut choisie pour être la Mère de Dieu et qui cependant ne perdit pas son humilité : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. Ce fiat est l’expression d’un désir, et non d’une dernière hésitation. En disant ces mots, Marie exprime la vivacité de son désir plutôt qu’elle n’en demande la réalisation, à la façon de quelqu’un qui garderait des doutes. Rien n’interdit, toutefois, de voir dans ce fiat une prière. Car personne ne prie sans être animé par la foi et l’espérance. Dieu veut que nous lui demandions même les choses qu’il nous promet. C’est pourquoi, sans doute, il commence par nous promettre bien des choses qu’il a résolu de nous donner : la promesse éveille notre piété, et la prière nous fait mériter ce que nous allions recevoir gratuitement. C’est ainsi que le Seigneur, qui veut que tous les hommes soient sauvés, nous extorque des mérites : en nous prévenant et en nous donnant ces mérites qu’il récompensera, il agit gratuitement en nous-mêmes, afin de ne pas nous faire des dons immérités.

La Vierge l’a compris, puisqu’au moment de la promesse gratuite elle joint le mérite de sa prière : « Qu’il me soit fait selon ta parole. Que la Parole fasse de moi ce que dit ta parole. Que la Parole qui dès l’origine était auprès de Dieu se fasse chair de ma chair selon ta parole. Que s’accomplisse en moi, je t’en supplie, non pas la parole proférée, qui est transitoire, mais cette Parole que j’ai conçue pour qu’elle demeure : celle qui s’est revêtue de chair, et non ce vain souffle. Qu’elle ne soit pas seulement perceptible à mes oreilles, mais visible à mes yeux, palpable à mes mains, et que je puisse la porter dans mes bras. Que ce soit non la parole écrite et muette, mais la Parole incarnée et vivante : non pas ces signes inertes tracés sur le parchemin desséché, mais cette Parole à forme humaine, imprimée, vivante dans mes chastes entrailles ; non pas modelée par une plume sans vie, mais gravée par l’opération du Saint-Esprit. Que me soit fait ainsi ce qui jamais n’advint ni n’adviendra à personne. Dieu, jadis, a parlé souvent et de bien des manières aux Patriarches et aux Prophètes ; sa parole leur a été donnée à entendre, à proclamer ou à pratiquer, par l’oreille, par l’œil, par la main. Quant à moi je demande qu’elle soit mise dans mes entrailles, selon ta parole. Je ne souhaite pas la parole proférée de la prédication, ou celle qu’expriment symboles et figures, ou celle qui se communique à l’imagination dans les songes. J’appelle la Parole insufflée en moi dans le silence, incarnée dans une personne, corporellement mêlée à ma chair. Cette Parole n’avait ni la possibilité ni le besoin d’être faite en elle-même : qu’elle daigne donc se faire en moi selon ta parole. Qu’elle se fasse pour le monde tout entier, mais qu’en particulier il me soit fait selon ce que m’a annoncé l’ange. »